Ce beau recueil de Philippe Cuisset, Léa Gariglietti et Tomàs Junior est doublement novateur. 

D’abord sur la forme, l’ouvrage réunit des auteurs aux statuts différents et mêle étroitement évocations, poésies, photos et aquarelles. L’ensemble présente une série bouleversante de rencontres et d’instants vécus, pris sur le vif, dans les camps de réfugiés de l’agglomération rémoise. Les paroles, les couleurs, « les silhouettes et les ombres » se répondent et s’éclairent mutuellement « afin de restituer la dimension invisible de ces expériences profondément humaines qu’un seul mode d’expression n’aurait pu atteindre » (p. 10). Le programme annoncé tient toutes ses promesses. Chacun prend la mesure, à la lecture des fragments qui s’imbriquent, de l’étonnante force et fragilité du « fil de l’exil ».

Ensuite, sur le fond, ces regards croisés de réfugiés et de bénévoles concernant l’exil révèlent la profonde humanité d’un monde, riche en diversité et en espoir, dont la parole est structurellement confisquée par le discours trop souvent surplombant des hommes/femmes politiques, des journalistes et des organisations gouvernementales ou caritatives. Les réfugiés « pensent » (c’est précisément la raison pour laquelle ils fuient) et il convient enfin de l’entendre ! Tomàs Junior, auteur et demandeur d’asile angolais nous interpelle ici avec précaution : n’est-il pas nécessaire d’aider l’oppresseur (qui sait qu’il accueille si mal) à comprendre pourquoi il prétend aujourd’hui être l’opprimé ? (p. 47)

Enfin, l’un des multiples talents de l’ouvrage est de rappeler sans leçon, de façon sensible et subtile, combien les frontières, qu’elles soient terrestres, culturelles ou artistiques, segmentent notre compréhension du monde, le rendant souvent violent parce que devenu artificiellement indéchiffrable.

Assurément un bel ouvrage à lire et à offrir !