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Notre lecture

Les formes du visible

16 ans après son ouvrage-manifeste, Par-delà nature et culture, 11 ans après sa remarquable exposition au Quai Branly, l’anthropologue Philippe Descola, professeur au Collège de France, continue de dérouler ici son programme de lecture des formes du visible : les images figurent et restituent la configuration du monde des populations qui les ont produites et sont par conséquent le support rêvé pour comparer la diversité des ontologies humaines.

Le lecteur trouvera ici, remarquablement illustrées par la diversité des cultures, des époques et des images présentées (allant des peintures pariétales de la grotte Chauvet à l’imagerie médicale la plus récente), les quatre ontologies humaines distinguées hier par l’auteur.

– L’animisme : les êtres vivants partagent la même qualité de sujet mais se distinguent par la variabilité de leur corps. Les images inuites, par exemple, figurent des êtres partageant tous une même intériorité humaine alors que leurs corps (humains/non humains) ont des spécificités propres les différenciant les uns des autres.

– Le totémisme : les êtres humains ou non-humains descendent d’ancêtres communs dont ils partagent certaines des qualités. Les productions picturales aborigènes, par exemple, soulignent les caractères physiques et comportementaux partagés par les membres humains et non-humains d’une classe totémique et de l’ancêtre dont ils descendent.

– L’analogisme : les êtres sont singuliers mais ils sont ordonnés au sein d’institutions, familles, tribus, Etats selon des formes spécifiques d’alliance. Cette ontologie dominante produit aujourd’hui les catalogues de représentations les plus connus, alors qu’hier ils n’étaient partagés que par de petits groupes humains (attachés à des époques et à des lieux précis).

– Enfin, le naturalisme : si les humains ont des facultés uniques qui les différencient du vivant, le monde auquel ils participent, dans son ensemble, est naturellement constitué de la même matière… Cessons ici de résumer une pensée complexe à coups de serpe !

Certains spécialistes jugeront facile cette adéquation de la théorie du « modèle quadripartite » aux objets présentés, les images choisies confirmant avec bonheur les hypothèses de l’auteur. Pour le plus grand nombre, cet ouvrage précieux de 757 pages (pesant 1,4 kg) ne tombera pas des mains, tant il est passionnant ! Outre la très riche iconographie de la publication, l’écriture de Philippe Descola sait associer avec bonheur anthropologie et histoire, ethnographie et sociologie, histoire de l’art et sémiologie, psychologie et parfois même psychanalyse. Parce que c’est érudit, c’est limpide. C’est également bouleversant. Un exemple : que disent de nous nos propres représentations des objets les plus triviaux de notre vie quotidienne ? Un ouvrage nécessaire !