- Olga Tokarczuk
- date de publication : janvier 2024
- éditeur : Noir sur Blanc
- Littérature
Si la référence à La Montagne magique de Thomas Mann est indéniable, on peut faire l’économie d’une comparaison érudite pour se laisser prendre par le réalisme magique de ce roman. L’histoire s’ouvre par l’arrivée d’un jeune homme, Wojnicz, dans une station thermale de Basse-Silésie, pour soigner sa tuberculose. Ce jour-là, la mort de la femme du propriétaire déclenche chez les pensionnaires un carnaval funèbre ! Si le héros privilégie une relation avec un jeune peintre, il côtoie nombre de pensionnaires de toutes nationalités, pour la plus grande part masculins. Or, les Empouses désignent des succubes qui composaient la cour d’Hécate, déesse infernale. D’où le ton sarcastique de l’auteure à l’égard de ces hommes dont le principal sujet de conversation tourne autour des femmes pour les dénigrer tout en sachant leur empire incontestable. Aux rites réalistes de cette société fermée, pour ne pas dire bornée, se mêlent des rituels folkloriques comme l’absorption d’une liqueur en fin de repas, des événements mystérieux et une atmosphère fantastique qui surgit inopinément. Autant d’éléments dramatiques qui court-circuitent le fil narratif traditionnel. Les paysages en sont un composant ainsi que l’un des personnages l’explique : « – Le paysage… est… un grand mystère… car en fait… il se crée dans les yeux… de celui qui regarde, prononce-t-il avec peine. Il ajoute qu’il y a une sorte de projection des états intérieurs de celui qui observe, et qu’il conviendrait de se demander si ce que nous voyons sur la toile n’est pas entièrement différent dans la réalité. » Cette remarque concerne aussi le lecteur qui se laissera emporter par le charme envoûtant d’une histoire aux multiples ramures pour prendre conscience d’une réflexion vertigineuse !