Le narrateur, jeune écrivain sénégalais, part sur les traces d’un Rimbaud africain, mystérieusement disparu, nommé T.C. Elimane, originaire comme lui du village de Sine Saloum ; celui-ci a écrit un roman mythique dont il ne reste que de très rares exemplaires : Le Labyrinthe de l’inhumain ; paru en 1930, il reçut  un accueil très controversé de la critique qui y décèlerait un tissu de plagiats tout en émettant un sérieux doute sur la vraie identité de l’auteur, sous-entendu : comment un Noir aurait-il pu écrire une œuvre qui fait preuve d’une culture aussi monstrueuse ?!  D’ailleurs, le narrateur ne nous en livre que quelques bribes comme pour entretenir le mystère d’une intrigue réflexive… L’itinéraire politique de son personnage ressemble en plusieurs points à celui de Yambo Duologem (auteur de Devoir de violence) à qui est dédié son ouvrage.

Si Mohamed Mbougar Sarr emprunte le titre de son roman à une citation, mise en exergue,  tirée des Détectives sauvages de R. Bolaño, c’est autant pour nous mettre sur la voie que pour nous dérouter !  Le roman exerce, en effet,  sur le lecteur une fascination étourdissante : il traverse les époques de la colonisation, des guerres de libération et de la post-colonisation jusqu’à nos jours dans le milieu parisien des écrivains africains de 2010, en passant par les émeutes meurtrières de Dakar en mars 2021. S’y croisent des personnages réels et imaginaires,  que l’on rencontre au Sénégal, en Argentine (Sabato et Gombrowicz), en France et ailleurs… A un ordre chronologique bouleversé correspondent différents types d’écriture : journal tenu par le jeune écrivain, articles de presse, citations d’œuvres, récit de la quête, mails… Un patchwork en référence à l’œuvre introuvable, devenue ainsi mythique. Ces effets de miroir éclairent autant qu’ils aveuglent le narrateur et le lecteur. « Chaque être doit chercher sa question pour toucher du doigt l’épais mystère au cœur de son destin : ce qui ne lui sera jamais expliqué, mais qui occupera pourtant dans sa vie une place fondamentale. »

Pour sa part, le lecteur, intrigué puis ravi, ne cessera de se poser les questions que soulève la complexité narrative, culturelle et historique  de cette œuvre singulière sans devoir privilégier une explication…