Ainsi se proclame le héros ordinaire et véridique, Wasif Jawhariyyeh (1897 – 1972), hédoniste d’une famille d’origine orthodoxe. Il a une certaine notoriété comme joueur d’oud (« cela signifie en arabe un bout de bois »). Grâce à sa musique arabo-andalouse, il se fait le chantre des plaisirs de la dive bouteille, du palais, de la bonne cher, bref de la vie : « Mieux que des mots, le son du oud fait revivre la voix de Jérusalem, sa sensualité faite de hanches et de peaux ». On le suit, enfant courant derrière son père sur un âne, parcourir les rues de Jérusalem sous domination ottomane, où chrétiens, musulmans et juifs vivaient ensemble, parfois en harmonie et en bonne intelligence. Mais l’âge venant, Wasif, qui signifie « celui qui adore », va lentement déchanter jusqu’à sa vieillesse en exil à Beyrouth. Le lecteur découvrira ainsi les bouleversements de l’Histoire avec les deux guerres mondiales, le colonialisme anglais, l’avènement de l’Etat d’Israël… Il partagera aussi, malgré un fond tragique, l’enchantement d’un temps perdu qui gardera toujours une certaine saveur : « Tous les gens qui ont l’expérience de l’exil, ont ce rapport au sacré autour de la cuisine. On trouve refuge dans ces petites choses, la cuisine de l’ordre du partage, le dernier refuge de l’âme ». Pour le lecteur, ce sera la saveur de la langue d’une authentique écrivaine.